A l‘heure où l’allumeur de réverbères venait
auréoler la colline de petits halos discrets qui dansaient dans les lampadaires
à gaz, au bout des mats, l’immense baie d’Alger se mettait à clignoter comme un
ciel d’été.
Chaque quartier, l’un après l’autre se joignait à
cette féerie que venait couronner la longue file des automobiles, traçant
de leurs phares l’itinéraire de la Route Moutonnière jusqu’à entrer dans
la périphérie d’Hussein Dey.
A cette
heure donc, où la nuit, galopante sous cette latitude, prenait rapidement
possession de la ville, le calme s’installait dans les rues, les quartiers, les
maisons. Parfois, un chien aboyait donnant de la profondeur au silence.
Bordée
dans mon lit par une maman qui préférait les chansons aux histoires, j’écoutais
avec bonheur : « Parlez-moi
d’amour, redites-moi des choses tendres… », ou avec
angoisse : « Dans le
fiacre 113, j’ai perdu Thérèse, à qui me la ramènera, récompense il y aura », ou encore avec bonheur, ce
suave Dalcroz : « Cher petit
oreiller, frais et doux sous ma tête…quand on a peur du froid, du loup, de la
tempête, cher petit oreiller, comme on dort bien sur toi. »
Lorsque
maman refermait la porte derrière elle, ce n’était pas encore le sommeil, mais
une espèce de Nirvana qui me prédisposait au bonheur.
C’est
alors que je percevais, très lointain d’abord, puis petit à petit plus audible
et plus envahissant, le bourdonnement sourd d’un avion, qui survolait Alger,
très haut, au dessus de ma tête et s’en
allait décroissant, peut être vers le Sahara …Le temps de sa traversée d’Alger,
le ronflement de ce moteur à hélices, emportait mon imaginaire à sa traine.
Qui
peuplait donc ces engins volants ? Comment vivaient-ils enfermés là ?
Où allaient-ils ? En sortaient-ils un jour ?
Ma
curiosité silencieuse s’envolait avec une telle force, une telle détermination qu’à
mon insu, elle dut se mêler à l’imaginaire du pilote de cet avion, jusqu’à y
dessiner un Petit Prince, curieux, inventif et heureux de vivre.
Peut-être, le pilote se trompa-t-il juste sur le sexe
du petit rêveur ?
Lorsque je devins une jeune fille, la vie et l’œuvre
de Saint Exupéry façonnèrent mon adolescence. Mais c’est beaucoup plus tard que
j’ai pu faire le rapprochement avec l’aventure de Courrier Sud et l’itinéraire de la ligne de Latécoère.
Encore
aujourd’hui, peut-être à cause de leur rareté, les avions à hélices, dont le
ronflement n’a pas changé, me font lever le nez où que je fusse, me
transportant immédiatement dans la paisible baie d’Alger.
Et je rends
grâce de n’avoir gardé que ce souvenir d’Alger d’avant-guerre alors que j’ai
connu des nuits de bombardements, dans les années 1943-44. Là, le vrombissement
des escadrilles de bombardiers, chantait une autre chanson et instillait la
panique. Gare à ceux qui n’obtempéraient
pas rapidement aux hurlements de la sirène. Pour avoir un peu trop tardé je me
suis retrouvée plaquée contre les boites-aux-lettres de mon immeuble, par
l’effet d’une bombe soufflante tombée à quelques centaines de mètres de chez
nous.
Mais
toutes les horreurs du monde, passé, présent et à venir, n’effaceront jamais en
mon esprit, la paix de ce moment où la nuit, la douce nuit d’Algérie, descendait
sur la ville, où les réverbères s’allumaient, où un chien lointain défendait
son territoire, et où Antoine de Saint Exupéry, que je ne connaissais pas,
venait prendre la relève de maman dans mes glissements vers le Nirvana …
Là où va se nicher l'imaginaire... si loin dans le temps, cette douceur de l'oreiller, la rumeur lointaine des avions, le ciel au dessus de la tête, de la maison, de la ville, de la baie, du pays tout entier...
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